Agencia Prensa Rural
Plan du site
Suscríbete a servicioprensarural

Des images pour les sans-voix
Lisa-Marie Gervais / jeudi 19 mars 2009
 
Hollman Morris

Hollman Morris exerce l’un des métiers les plus dangereux de Colombie : le journalisme. Depuis 15 ans, il sillonne le pays pour dénoncer les abus dont sont victimes les populations les plus vulnérables. Présenté dans le cadre du Festival de films sur les droits de la personne, Témoin indésirable est un documentaire sur le parcours de ce combattant, caméra au poing.

Le 3 février 2009, le Colombien Hollman Morris est devenu, bien malgré lui, un « faux » journaliste. Ainsi en avait décidé le président de la Colombie, Alvaro Uribe, en déclarant qu’il était « important de faire la distinction entre les amis des terroristes qui agissent comme des journalistes et ceux qui sont de vrais journalistes ». Peu de temps après, le ministre de la Défense avait renchéri en accusant ce journaliste indépendant d’entretenir des liens avec les Forces armées révolutionnaires (FARC). Un « crime » cher payé par les temps qui courent.

La faute de Hollman Morris ? S’être retrouvé dans le sud du département de Caqueta, le 1er février dernier, à l’endroit même où les FARC ont libéré trois policiers et un soldat qu’ils détenaient depuis 2007. Certains avaient du mal à croire que sa présence à cette libération d’otages était le fruit du hasard. Le journaliste à la télévision colombienne continue pourtant de clamer haut et fort que c’était une coïncidence, alléguant qu’il s’y trouvait pour réaliser une entrevue avec un guérilléro dans le cadre de son travail.

Depuis, ce journaliste, détenteur de nombreux prix prestigieux dont le Human Rights Watch Defender Award, a reçu une cinquantaine de menaces de mort. Mais également des centaines de lettres et de courriels d’appui. Un groupe de soutien a été créé dans Facebook et plusieurs organisations internationales ont pris sa défense publiquement. « Uribe n’avait pas prévu que ses déclarations qui ont généré de la violence allaient aussi permettre cette grande chaine de solidarité », a-t-il noté.

Cela n’empêche pas Hollman Morris de continuer à produire et réaliser depuis cinq ans déjà une émission de télévision qui offre une tribune à tous ces sans-voix que sont les peuples indigènes, les Afro-descendants et les paysans. Contestée par les autorités, Contravia a été suspendue puis déplacée dans un créneau horaire nocturne. Qu’à cela ne tienne. Le journaliste continue son travail de mémoire. Car les images de violations des droits humains qu’il diffuse constituent un lot d’archives vidéo parmi les plus importantes sur l’histoire récente du pays.

Le métier de tous les dangers

En Colombie, le journaliste exerce l’un des plus dangereux métiers. Viols, tortures, assassinats, les professionnels de l’information ne sont pas à l’abri de ces atrocités. Au cours des dix dernières années, 50 journalistes colombiens ont été assassinés dans l’exercice de leurs fonctions, rapporte la Fondation pour la liberté de presse (FLIP). L’an dernier, 94 ont reçu des menaces et 58 ont subi un traitement inhumain ou dégradant.

Depuis plusieurs années, Hollman Morris vit au quotidien avec ces difficultés. En 2000, il a dû s’exiler avec sa femme et ses deux enfants parce qu’on craignait pour sa vie et celle de sa famille. Il ne peut désormais plus sortir sans gardes du corps. Malgré tout, il n’hésite pas à dénoncer le contrôle oppressant de l’État. « Au pays, il y a 6000 personnes qui sont sous la protection d’un service personnel de sécurité parce qu’elles ont reçu un trop grand nombre de menaces. Pourquoi ? Parce qu’elles pensent différemment ? C’est absurde », s’indigne-t-il.

Hollman Morris n’a jamais caché ses critiques à l’égard du gouvernement. C’est justement ce qu’on lui reproche. D’avoir passé 15 ans de sa vie à couvrir la guerre civile colombienne aux quatre coins du pays en portant une attention particulière aux droits de l’homme. Mais surtout, d’avoir démontré que les exactions du conflit armé n’étaient pas seulement le fait des guérillas et de leurs protagonistes, mais également celui de l’armée et des paramilitaires.

Une croisade caméra au poing

Né en 1968 presque en même temps que la guerre, Hollman Morris se dit de la génération « dont on a tué les rêves ». Sans doute est-ce pour répondre à ses questions sur cette période difficile qu’il embrassera plus tard une carrière de journaliste. « Je voulais comprendre pourquoi tous ces massacres », explique-t-il. On est à la fin des années 1980, début 1990. Le mouvement de guérilla M-19 avait accepté de déposer les armes pour continuer la lutte par la voie de la politique. L’heure était au changement. Mais les assassinats coup sur coup de plusieurs dirigeants de la gauche, candidats aux présidentielles, dont Luis Carlos Galán, Carlos Pizarro et Bernardo Jaramillo, ont miné l’espoir. Jeune universitaire, Hollman Morris est alors très actif. Il écrit, s’engage dans des mouvements politiques, fait de la radio à l’université Javeriana de Bogotá.

Mais c’est finalement la télévision qui est devenue son média de prédilection. « La télé, c’est la ministre de l’Éducation », lance-t-il en louant le potentiel formateur de l’écran cathodique. Mais braquer une caméra en zone de conflit comporte des risques. Pour l’intervieweur et pour l’interviewe. « Pendant toutes ces années de guerre, les journalistes ont tout essayé pour ne pas montrer les victimes. On a caché leurs visages, masqué leurs voix. On ne montrait pas d’images des massacres pour ne pas choquer. Mais ce comportement des journalistes a fait en sorte que le monde entier a cru qu’il n’y avait pas de guerre en Colombie. Moi, je veux montrer les victimes. Elles souffrent, elles pleurent et elles ont un visage », insiste-t-il.

Hollman Morris ne nie pas la grande amélioration qui s’est produite dans son pays en matière de sécurité. La Colombie est une démocratie après tout. « Mais il faut en voir la qualité. Peut-on vraiment louer les valeurs démocratiques d’un pays où il y a quatre millions de personnes déplacées, 2000 syndicalistes assassinés et on ne sait trop combien de disparus ? », demande-t-il. « Il m’apparait dangereux que le président Uribe continue de stigmatiser les leaders sociaux et d’accuser les journalistes d’avoir des liens avec les guérillas. Ce n’est pas la façon de faire. Il ne fait que semer la violence », croit-il.

Étant donné son parcours de combattant, Hollman Morris estime qu’il est bien placé pour le savoir.

***

Hollman Morris donnera une conférence ce soir à 18h au Coeur des sciences de l’UQAM. Le film Témoin indésirable sera présenté demain à 19h au Cinéma du Parc, en sa présence.