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Les 100 premiers jours de l’Accord de Paix Colombien
A Carthagène des Indes, le Secrétariat des FARC-EP et les « hommes de la paix » du gouvernement Santos se sont retrouvés les 25 et 26 mars afin d’évaluer les 100 premiers jours de la mise en application de l’Accord. Aujourd’hui, les soucis concernant la mise en œuvre de l’Accord demeurent.
Mónica Arias Fernández / mercredi 19 avril 2017
 
Début du conclave de Carthagène des Indes. Dans la photo de gauche à droite : Pastor Alape et Ivan Marquez (membres du sécretariat des FARC-EP) et Rafael Pardo (directeur du Bureau du Post-Conflit), Juan Fernando Cristo (Ministre de l’Intérieur) et Sergio Jaramillo (directeur du Bureau du Haut Commissariat de la Paix - OACP)

Trois mois après la signature de l’Accord de Paix entre le Gouvernement colombien et la guérilla des FARC-EP, les protagonistes des dialogues ont été contraints d’organiser une réunion d’urgence à Carthagène des Indes. L’inquiétude des deux parties concernant la mise en œuvre de l’Accord et le besoin de modifier les délais initialement fixés étaient à la source de cette réunion de haut niveau, appelée « conclave », et guidée par le président Juan Manuel Santos et le chef des FARC-EP Rodrigo Londoño « Timochenko ».

La signature de l’Accord, le 24 novembre 2016, au théâtre Colon, était à peine le début d’une longue et difficile tâche : Transformer un Etat habitué à la guerre et le réorienter vers une paix inconnue. C’est pourquoi, près de 7000 combattants ont cessé ce jour-là l’emploi des fusils pour prendre en main des ordinateurs, des caméras, la Constitution, les lois et les décrets comme armes d’un nouveau combat : Celui de mener à bon terme l’exécution administrative de l’Accord de Paix.

L’Accord comprend six grands points : 1. Réforme rurale intégrale, 2. Participation politique, 3. Fin du conflit armé (réintégration politique et économique et protection des anciens membres des FARC-EP), 4. Solution au problème des drogues illicites, 5. Victimes du conflit (Système de Vérité, Justice et Réparation) et 6. Mise en oeuvre.

La mise en application de l’Accord se dessine sur au moins trois horizons : l’approbation parlementaire des lois, la réincorporation à la vie civile des combattants et la question rurale. Ces trois échelons sont complémentaires et tout retard à un des niveaux impacte l’ensemble de l’Accord, et de ce fait, la paix.

La mise en application de l‘Accord nécessite l’approbation parlementaire de réformes à la Constitution et des lois afin d’accomplir les objectifs ciblés. Chaque point de l’Accord implique un dossier de lois et réformes à approuver. A ce jour, le Parlement colombien n’a approuvé que 3 lois et 2 réformes à la Constitution. Le Gouvernement colombien a cherché à faciliter la voie parlementaire par un mécanisme de Fast-Track qui réduit les temps et fusionne les débats parlementaires. Or, ce mécanisme n’était pas prêt à répondre aux traquenards politiques. Le scandale d’Odebrecht a affaibli l’image du gouvernement Santos et l’approche des élections présidentielles a changé l’agenda des parlementaires qui brillent aujourd’hui par leur absence aux débats parlementaires. En absence de quorum, plusieurs débats des sur les lois concernant l’Accord de Paix ont dû être reportés. Une « opération escargot » semble émerger là où l’absence de volonté politique est flagrante.

Quant au processus de réincorporation des combattants à la vie civile la question ne s’avère pas plus simple. Selon le chronogramme accordé, les Zones de Transition (ZVTN), dans lesquelles les guérilleros doivent habiter au moins durant 180 jours afin de faire leur passage dans la vie civile (inscription à l’état civil, formation et mise en équivalence des diplômes, inscription à la sécurité sociale, etc.) devaient être prêtes au plus tard au J+30, soit le 1 janvier 2017. Or, les ZVTN ne sont pas encore prêtes, les guérilleros ont déménagé dans des terrains sans aqueduc, sans infrastructure, et accepté d’y habiter « provisoirement » sous des tentes. À 42 jours du J+180, non seulement les adéquations d’infrastructures n’ont pas encore abouti mais le travail de réincorporation économique et sociale n’a pas démarré. A cela s’ajoutent des soupçons de corruption dans les contrats publics d’approvisionnement d’aliments et matériaux aux ZVTN.

La première mesure nécessaire à la mise en œuvre de tout accord de paix est la loi d’amnistie et la suspension de tout mandat d’arrêt contre un membre de l’organisation ayant souscrit l’accord. Or, la loi d’amnistie, approuvée le 30 décembre par le parlement colombien, n’est toujours pas appliquée. Les responsabilités de ce retard sont au moins à deux niveaux, d’une part, le Bureau du Haut Commissaire pour la Paix (OACP) n’a pas validé la totalité de la liste des membres soumise par les FARC-EP ; d’autre part, une partie des juges est en grève en raison d’une surcharge de travail et met en place une opération escargot sur les amnisties, afin de faire pression sur le Gouvernement.

L’Accord prévoit également la création d’une unité de protection rattachée au Ministère de l’Intérieur afin de protéger les membres des FARC-EP dont le niveau de risque est élevé. L’Accord prévoit que le corps de sécurité soit intégré par des anciens membres des FARC-EP afin d’assurer, en toute confiance, la sécurité des membres en risque. Les premiers décrets de création de cette unité ont été publiés, cependant, la route d’amnistie et de formation des membres du corps est très en retard. Que se passera t-il si nous arrivons au J+180, soit le 1 juin, et que ce corps n’est toujours pas constitué ? Dans un pays où la violence et la vengeance sont toujours attisées, il s’agit d’une affaire de vie ou de mort.

La communauté internationale a affirmé la qualité exceptionnelle de cet Accord car il ne se restreint pas à assurer la transition des FARC-EP à la vie civile mais, prend en compte le conflit entre les FARC-EP et l’Etat Colombien dans sa dimension sociale et rurale. La principale revendication des FARC-EP porte sur la question rurale, un des principaux facteurs des conflits politiques colombiens. Les points 1 et 4 de l’Accord cherchent à mettre en place, dans le cadre d’un Etat libéral, une solution démocratique à la question économique et sociale de la propriété de la terre, ainsi qu’aux conditions de son exploitation. Le point 1, Réforme Rurale Intégrale cherche à formaliser et à donner accès aux paysans aux droits de propriété de la terre. Le point 4 cherche à trouver une solution durable aux cultures illicites en partant d’un véritable soutien de l’Etat aux paysans. « Si un hectare de coca représente un revenu de 1000 euros par mois aux paysans alors qu’un hectare de maïs ne représente que 300 euros, l’on ne peut donc s’étonner du choix des paysans » souligne un leader paysan.

La mise en application du point 1 est en retard. A ce jour, la commission d’experts en charge de proposer les principales réformes à appliquer est en pleine discussion. Quant au point 4, le Gouvernement mène une double politique entre la concertation et l’emploi de la force policière. La substitution concertée avec les communautés paysannes est une solution durable mais couteuse (elle implique un accompagnement technique et économique de la transition entre cultures illicites et licites). L’éradication est rapide mais, plus la police éradique la coca, plus les paysans s’apprêtent à en cultiver ici et ailleurs. Au sud du pays, les premiers conflits entre communautés paysannes cultivatrices de coca, police et autorités locales ont éclaté. « On cherche à concerter un plan de substitution et tout à coup la police arrive avec les CRS afin d’éradiquer la coca coûte que coûte » signale un cultivateur de feuille de coca.

« Les divers acteurs de la guerre s’articulent dans un seul engrenage : Aussi bien les mafias de la drogue que les secteurs politiques opposés à la Réforme Rurale Intégrale encouragent la stratégie d’éradication, et de ce fait, un cercle vicieux. Les paysans quittent les zones où la coca est éradiquée pour aller en cultiver ailleurs. Ces terrains sont accaparés ensuite par des grands propriétaires fonciers ou des entreprises de monocultures. Ces territoires doivent alors être transformés par l’Etat au lieu d’être abandonnés aux intérêts privés et illégaux. » Souligne Pastor Alape, membre du secrétariat des FARC-EP et délégué au Conseil National de Réincorporation.

Les groupes paramilitaires mettent la pression sur deux fronts, d’une part, ils persuadent par la force ou par le discours les communautés paysannes de ne pas substituer les cultures de coca mais au contraire, d’en cultiver de plus en plus. D’autre part, ils cherchent également à persuader les anciens combattants des FARC-EP de travailler avec eux. Leur principal argument est le retard de la mise en œuvre de l’Accord et le fait historique que « l’Etat colombien ne remplit jamais ses promesses ».

La question rurale, la guerre et la paix

L’accord prévoit des « Circonscriptions spéciales de paix ». Il s’agit de territoires prioritaires dans la mise en application de l’Accord où l’absence de l’Etat, la pauvreté et la présence des acteurs armés sont les principaux dangers pour les populations qui y habitent. Ces territoires sont au carrefour des points 1, 2 et 4 de l’Accord. Ce sont les territoires prioritaires de la Réforme Rurale Intégrale et de ses plans de développement ainsi que des plans de substitutions de cultures illicites PNIS. Mais surtout, ce sont les territoires des nouvelles circonscriptions électorales qui cherchent à augmenter leur représentation au Parlement en leur assurant au moins 1 représentant par circonscription.

L’Accord met alors en avant son plus grand potentiel : Créer une action intégrale de l’Etat au niveau politique, économique et social dans les régions les plus vulnérables et susceptibles à la guerre. Toutefois, c’est à ce niveau là où le Gouvernement s’avère le plus en retard dans sa mise en oeuvre, alors qu’il s’agit de la stratégie qui peut assurer une sortie durable de la guerre.

Les défis sont donc majeurs. Il ne reste plus qu’un mois de facultés extraordinaires présidentielles, un mois de Fast-Track (qui sera sûrement prolongé jusqu’à la fin de l’année 2017) et 12 mois de gouvernement Santos pour assurer l’Accord de Paix. Seule la volonté politique des quatre super entités de la paix : la Vice-présidence, le Bureau du Post-conflit, la OACP et le Ministère de l’Intérieur peut assurer ce défi au moment même où le Président Santos s’apprête à modifier tout son cabinet.

Suite au conclave de Carthagène un nouveau chronogramme, avec 4 lignes prioritaires de la mise en application de l’Accord, a été convenu. Trois semaines après Carthagène, seule la mise en place de la Juridiction Spéciale pour la Paix semble avancer. Les inquiétudes concernant la mise en application de l’Accord demeurent toujours à l’ordre du jour. La communauté internationale a montré son soutien aux dialogues de paix à plusieurs reprises. Au vu de l’échiquier politique colombien, l’accompagnement politique international et sa vigilance sur la mise en oeuvre de l’Accord est plus que jamais essentielle si l’on veut assurer que la première année soit aussi brillante que lecontenu de l’Accord.